Arnold Schoenberg, Brettl-Lieder, texte français

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Arnold Schoenberg (1874–1951)

Chansons de cabaret (1901)

 

 

 

 

traduites de l’allemand par Bernard Banoun.

 

Galathée

Frank Wedekind (1864-1918)

 

Ah, je brûle de désir,

Galathée, ô douce enfant,

de te baiser les deux joues,

tes deux joues si alléchantes.

 

Quelle volupté serait mienne,

Galathée, ô douce enfant,

de te baiser les cheveux

tes cheveux si alléchants.

 

À jamais, oui, permets-moi,

Galathée, ô douce enfant,

de te baiser les deux mains,

ces menottes alléchantes.

 

Tu ne sais comme je brûle,

Galathée, ô douce enfant,

de te baiser les genoux,

tes genoux si alléchants.

 

Que ne ferais-je, ma jolie

Galathée, ô douce enfant,

pour te baiser tes petons,

tes petons si alléchants.

 

Mais que ta bouche jamais

ne se livre à mes baisers,

car seule la fantaisie

saura la baiser à son gré.

 

 

Gigolette

Otto Julius Bierbaum (1865-1910)

 

Mam’zelle Gigolette m’invita pour le thé.

Sa toilette s’accordait à la neige,

comme Pierrette elle était vêtue.

Un moine même, je le parie, l’eût regardée d’un bon œil.

 

Dans un salon rouge elle me reçut,

à la lumière jaune de bougies.

Comme toujours elle fut vive et pleine d’esprit.

Jamais je n’oublierai : rouge le salon, et elle, une blanche fleur.

 

Quatre chevaux nous emmenèrent tous deux

dans le pays qui se nomme Gaîté.

Nous ne perdîmes les rênes, le but ni l’allure

car Amour, assis derrière nous, conduisait ces quatre fougueux.

 

 

L’amant content de peu

Hugo Salus (1866-1929)

 

Ma bonne amie a un chat tout noir,

sa douce fourrure fait frou-frou,

et moi je suis chauve et lustré,

reluisant, lisse et argenté.

 

Ma bonne amie a, comme on dit, des formes,

passant toute l’année couchée sur son sofa

à cajoler la fourrure de son chat

veloutée et soyeuse, eh oui, elle aime ça.

 

Et quand je viens le soir trouver ma bonne amie,

sa minette est blottie tout contre elle,

grignotant avec elle du pain d’épice au miel,

ronronnant quand tout doux je caresse son poil.

 

Et s’il me prend d’être tendre avec elle,

pour qu’à moi aussi elle fasse « miaou »,

sur le mont-chauve alors je culbute minette

et en riant ma jolie la caresse.

 

 

Chanson naïve

Hugo Salus (1866-1929)

 

Le roi alla se promener,

promener comme tout un chacun,

sans sceptre et sans couronne

comme le quidam ordinaire.

 

Mais voilà un grand coup de vent,

un vent tout à fait ordinaire

ignore à qui il a affaire

et aussitôt sur le roi il s’abat.

 

Il lui arrache son chapeau,

il l’emporte par-dessus le toit,

adieu, le chapeau ! Disparu !

 

Regardez ! Vous voyez ! Je vous le dis !

Aussitôt on se moque de lui !

Sans couronne un roi ne saurait

comme le quidam ordinaire

se mêler aux gens niais !

 

Sans couronne un roi ne saurait

comme le quidam ordinaire

se mêler aux gens niais !

 

 

Mise en garde


Gustav Hochstetter (1873-1944)


Ma fille, ne fais pas la coquette,
ne chasse pas les papillons,
cherche-toi un homme, un vrai,
un qui sache t’embrasser,
qui te serre fort dans ses bras,
qui te donne un nid douillet.

Ma fille, ne fais pas ta sotte,
la vie, ce n’est pas un rêve,
il faut ouvrir ses quinquets.
Vois-tu un homme qui te convient,
n’y réfléchis pas trois fois,
attrape-le et garde-le !

Ma fille, garde-toi de gaspiller
les roses de ta beauté !
Fais attention, et n’oublie pas
que si tu vas papillonnant
de ci de là à l’aventure,
tu finiras sans mari !


Chère enfant, fais attention,
garde-toi bien de gaspiller
les roses de ta beauté.
Penses-y !

 

 

À chacun ce qui lui revient

Colly (??) [prénom inconnu]

 

Sur le champ de parade tout plat,

Gaspard se tient au beau milieu

bien droit sur sa belle monture.
non loin de lui, le roi, le duc,

et face à lui le public.

Régiments, boum boum boum,

on avance vaillamment.

 

L’air est gorgé de soleil,

Casques, baïonnettes rutilent,

étincèlent et scintillent.

Sur les tribunes ombragées,

bravo, hourrah, on s’amuse !

Jumelles d’opéra, ou œillades,

on badine, on se courtise.

 

À mon côté, qui est-ce donc?

Du charme, point trop raffiné,

mais du chien, de l’élégance.

On vous lance un regard hautain,

Mais qu’importe, ça vous réjouit

car au son de la musique

côte à côte on se trémousse.

 

Gaspard, prends ce qui te revient,

et que la troupe, bien menée,

te protège et nous protège.

Mais quittons cependant, mon trésor

bien vite la place d’armes.

Derrière le mur nous nous trouverons

à l’écart de tout un chacun.

 

Et là nous nous étendrons,

moi ainsi que ma voisine,

au loin on entend tralalaire.

Quel plaisir d’être soldat,

quel plaisir de ne l’être pas,

quand tous deux doucement nous pouvons

et cetera.

 

 

Depuis que tant de femmes j’ai vues

Emmanuel Schikaneder (1751-1812),

Extrait du Miroir d’Arcadie

 

Depuis que tant de femmes j’ai vues,

mon cœur bat avec ardeur,

je le sens qui bourdonne en moi,

on dirait un essaim d’abeilles.

Et si leur feu est pareil au mien,

si leurs yeux sont beaux et clairs,

mon cœur se met à frapper,

mon petit cœur, sans arrêt,

boum, boum, boum boum boum.

 

Si les dieux voulaient m’accorder

mille femmes autour de moi,

je danserais comme une marmotte

en tous sens et plus encore.

Cela, oui, ce serait vivre,

je m’en donnerais, du plaisir,

comme un lièvre courant les champs

avec le cœur battant toujours,

Boum, boum, boum boum boum.

 

Qui n’apprécie pas les femmes

n’est pas froid et n’est pas chaud,

dans les bras d’une demoiselle

tel un bloc de glace il se tient.

Moi je suis une autre pâte d’homme,

je bondis, je sautille autour d’elle;

mon cœur bat tout contre le sien,

et il fait boum, boum boum.

Boum, boum, boum boum boum.

 

 

Noctambule

Gustav Falke (1853-1916)

 

Frappe sur ton tambour, l’ami,

et toi, souffle dans ta trompette,

que tous bondissent hors de leur lit

et qu’ils poussent les hauts cris.

Tût, tututt et rataplan,

les bonnets de nuit s’agitent.

 

Ainsi je parcours les ruelles

à la clarté de la lune,

joyeux entre deux mam’zelles,

l’une laveuse, l’autre blanchisseuse:

à gauche Louison, à droite Marie,

et devant nous la fanfare.

 

Mais quand nous verrons la maison,

celle que je vous ai décrite,

alors vous ferez silence,

et serez comme une tombe !

Chut, pch pch, chut pch pch,

tout doux, passons devant cette maison.

 

Mon Henriette, cette furie,

habite cette maisonnette,

si nous la tirons du lit,

les yeux elle nous arrachera,

Chut, pch pch, chut pch pch,

tout doux, passons devant cette maison.

 

Allons, musiciens, reprenez !

Il est passé, le danger ;

réveillez les vieilles toupies,

qu’elles accourent à leurs fenêtres,

Tût, tututt, et rataplan,

les bonnets de nuit s’agitent.

 

Oui, ainsi je parcours les ruelles

à la clarté de la lune,

joyeux entre deux mam’zelles,

l’une laveuse, l’autre blanchisseuse:

à gauche Louison, à droite Marie,

et devant nous la fanfare.