José Bento, traduit du portugais

 

Séquence de Bilbao, 15

« Quatre derniers lieder » de Richard Strauss

 

   Tu m’as rejoint ici, chant

impétueux et ultime, qui es à d’autres

et pourtant mien: don

multiple, suffisant pour tous

ceux qui en lui apaisent une soif

dont on sait seulement le fond inaccessible.

Exubérant, resurgit l’envoûtement de la première fois:

Lisa chantait, laissant s’écouler l’or

d’une source dont elle possédait le secret;

comme venue à ma rencontre

pour m’offrir tout ce qu’elle avait: elle chantait,

                                                                                               chantait.

 

 Il m’enseigne maintes choses, celui qui a thésaurisé

le plus qui se puisse gagner

(une oeuvre, gloire, honneurs, argent,

une indéfinie tromperie de soi et d’autrui,

par égarement ou adulation,

scènes et parterres miroirs du monde:

primadonnas crépusculaires, libertins de quarante ans,

jeunes gens à déboutonner dans l’élan dont ils brûlent et embrasent,

la candeur de se dévêtir jusqu’à semer le trouble):

voyant proche sa fin,

il méprise décors et projecteurs,

la fanfare qui flattait les multitudes,

et compose une voix dépouillée pour rappeler

avoir marché main dans la main avec la femme aimée,

et demander si la fatigue de ce voyage

ne serait pas peut-être la mort.

Comme autrefois, transfiguration aussi.

 

   Mais ce ne furent pas là ses dernières paroles.

Il évoqua encore le printemps, rêvé dans les couchants:

Ariane qui revient, s’éveillant dans la grotte,

le corps perlé de rosée par l’aube débordante de Bacchus;

les jardins endeuillés de septembre,

les acacias désarmés et la pluie de leurs feuilles,

 

   et, enfin, la nuit,

                                                                  un enfant fatigué

ébloui par les étoiles de son sommeil

très pur, infini.

 

* [note de José Bento] Ces vers se réfèrent aux Vier letzte Lieder de Richard Strauss, chef-d’oeuvre du lied avec accompagnement orchestral, que j’entendis pour la première fois par la voix de Lisa della Casa (citée au vers 8), et, à Bilbao, je les réentendis, de manière inattendue, dans un enregistrement de Heather Harper et le London Symphony Orchestra dirigé par Richard Hickox. Ce poème contient des allusions aux vers (de Josef von Eichendorff et Hermann Hesse) de ces lieder, à l’opéra Ariane à Naxos et à d’autres oeuvres du compositeur. Je fais allusion d’abord au poème Im Abendrot (Au Crépuscule), premier des quatre mis en musique par Strauss, bien qu’on le chante en dernier; les allusions suivantes sont dans l’ordre des chants tels qu’ils sont interprétés dans ce disque: Frühling (Printemps), September (Septembre) et Beim Schlafengehen (En allant dormir).