Anton Webern, textes de lieder et cantates

traduit de l'allemand par Bernard Banoun 

Trois lieder avec orchestre (1913/1914)

 I. Légers parfums

 Anton Webern (1883-1945)

 

Légers parfums, fleurs, si délicates -

En rêve, la femme s'offre,

Rougeoiements de la lune, baisers de la nuit -

Je regarde en pleurant mon bonheur.

 

II. Arrivée III

 Stefan George (1868-1933), extrait du "Septième Sceau"

 

Voici le retour du printemps...

Depuis tes hauteurs, tu nous bénis,

Tu bénis le chemin, et les airs -

Balbutiante, ma gratitude monte vers toi.

 

Avant que l'esprit stupide des hommes

N'exige de lui le verbe et l'action,

Le souffle du créateur avait déjà

Donné âme à toutes choses dans l'espace.

 

Quand s'enflamme un tel regard,

Le tronc desséché reverdit,

Et un coeur sacré fait renaître

La terre engourdie.

 

III. O doux rougeoiement des montagnes

 Anton Webern

 

Doux rougeoiement des montagnes!

Je la revois maintenant.

O Dieu, si douce, si belle,

Mère des Grâces, dans les hauteurs célestes.

O penche-Toi, reviens...

Tu salues, Tu bénis - -

Le souffle du soir emporte la lumière -

Je ne le vois plus, Ton visage adoré.

 

1re cantate, op. 29

pour soprano solo, choeur mixte et orchestre

 Hildegard Jone (1891-1963)

 

I.

Venu de la nuée du Verbe, l'éclair de la vie, lumineux, embrasant, a frappé.

Suivi du tonnerre, le coeur qui bat, puis retrouve la paix.

 

II.

Petite aile, graine de l'érable qui planes dans le vent,

Ton sort est de gagner la terre obscure!

Mais tu renaîtras au jour,

au printemps, à tous les parfums;

de tes racines, tu monteras à la clarté,

et t'enracineras bientôt dans le ciel.

Alors toi-même tu sèmeras de ces petites ailes,

porteuses déjà de ta forme entière

qui dit tacitement la vie.

 

III.

Si retentissent les cordes bénies de la lyre d'Apollon,

qui les nomme Charites?

S'il joue sa mélodie dans le soir qui s'avance,

Qui songe à Apollon?

 

Car les noms d'autrefois

se sont tous éteints dans le son;

car les mots les plus faibles depuis longtemps

sont morts dans le Verbe;

les plus pâles images aussi

éternisent le spectre lumineux.

 

Charis, don du plus haut:

que se révèle la beauté de la grâce!

S'offrant, dans l'obscur,

au coeur en devenir,

rosée de l'accomplissement.

 

2e cantate, op. 31

pour soprano solo et basse solo, choeur mixte et orchestre

 Hildegard Jone

 

I.

Même silencieux, le monde est coloré

tant que brille le soleil.

Le rossignol, lorsque la nuit nulle couleur

ne scintille plus, pleure de joie.

Alors s'élève le chant, quand plus rien ne retient le regard,

alors, l'oreille s'ouvre au flot de lumière:

Quand disparaissent les couleurs mobiles,

le mouvement se manifeste dans le son.

 

II.

Renfermée au plus profond, la vie intime chante

dans la ruche, dans le silence de minuit,

elle annonce encore que, de mille couleurs,

le zèle peut extraire la douceur.

 

La ruche, blanc firmament, est parsemée

de la douce lumière de la Création.

Chaque abeille, un monde, y tournoie,

avant que ne s'envole l'essaim vers une aube éternelle.

 

Le coeur, la plus petite ruche, embrasse

toutes les autres. Son miel, cet apiculteur le recueille,

qui aime la douceur

du pur amour qu'il dispense pleinement.

 

III.

Sonner, c'est puiser

aux fontaines du ciel les eaux du Verbe,

quand la main humaine

remonte du puits des vases emplis de son.

Toutes les cloches, les coeurs,

nous voulons les sonner, ô hommes!

Que jamais par les espaces du temps,

que jamais ne cesse leur tintement!

 

Sonnons l'amour à toute volée!

Point de paresse ni de fatigue:

non, puisse-t-il mouvoir les airs,

toucher jusqu'au plus profond sommeil.

Traverser la plus noire ténèbre

pour donner aux morts le repos,

Veiller la dernière lueur de vie,

pour l'éveiller toute à l'amour.

 

IV.

Je porte à travers les espaces

les plus légers fardeaux des arbres:

les parfums,

et t'apporte des lointains la forme du tilleul,

dans le plus léger souffle.

 

V.

Bienveillant est le Verbe,

qui s'enquiert de notre amour pour Lui,

"Ne crains rien, c'est moi"

nous console dans l'obscurité,

et qui est entre nous

quand nous sommes paisibles.

Que peut-il y avoir entre nous,

sinon le Verbe?

Parce qu'Il s'est tu sur la Croix,

nous devons aller sur ses traces;

puisse dans la gravité de l'amertume

notre souffle le suivre.

Mais lorsqu'il retentit de nouveau

au petit matin,

tous nous nous retournons,

heureux d'être appelés.

Bienveillant est le Verbe.

Et si tu sais

qu'Il sait tout ce qui est tien,

alors tu le connais:

alors, plus cruel que la mort

est un nuage de cette hostilité,

mère des larmes,

qui se répand entre toi et lui,

glaciale.

 

VI.

Détaché du sein maternel

dans le printemps de Dieu;

arrivé, nu, devant les étoiles,

les hommes et les arbres;

passé de l'immensité à la grandeur.

 

Une vie est donnée

à la lumière de ce monde

qui, placé devant son regard,

doit s'animer à nouveau,

regard qui vainc la nuit,

 

qui peut soutenir le ciel

et mène à la plus grande lumière.

Dans le sein paisible, parce qu'un enfant

parle, les puissances premières

de l'amour nous donnent forme.

 

La Lumière des yeux, op. 26

pour choeur mixte et orchestre

 Hildegard Jone

 

Par nos yeux ouverts, la lumière s'écoule dans le coeur

et revient doucement, flot de joie.

Ce que le regard a reçu,

il le reverse au centuple.

Qu'est-il arrivé, lorsque l'oeil rayonne?

De rares merveilles nous seront révélées:

Que l'intérieur d'un homme est devenu ciel,

avec autant d'astres qu'il en est dans la nuit,

et un soleil qui suscite le jour.

 

O mer du regard, et ton ressac de larmes!

Les gouttes qu'il vaporise sur les cils, ces fétus,

le coeur et le soleil les illuminent.

Lorsque descend sur toi, silencieuse,

la nuit des paupières, ces tiennes eaux se mêlent

à celles de la mort: emportant doucement

les trésors de tes profondeurs, recueillis dans le jour.

Pourtant, lorsqu'avec les paupières le jour se lève

de ses insondables et obscures profondeurs,

nombre de ses prodiges ont passé jusque dans le regard,

le regard neuf, et lui ont donné la bonté.

 

 

Cinq lieder extraits du Septième Anneau de Stefan George, op.3

II. Dans le tissu du vent

Dans le tissu du vent

Ma question

N'était que rêverie.

Et qu'un sourire,

Ce que tu donnas.

Dans la nuit mouillée

Une lueur s'embrase -

Voici mai qui me presse,

Il me faut désormais

De jour en jour

Vivre dans le désir ardent.

 

IV. Dans la rosée matinale

Dans la rosée matinale

Tu t'avances

Pour contempler avec moi

Les cerisiers en fleurs,

Respirer le parfum

Du gazon.

Au loin vole la poussière ..

Dans la nature

Rien n'a poussé encore

Ni fruit ni feuille -

Autour, rien que des fleurs...

Le vent souffle du sud.

 

V. Nu l'arbre dresse

Nu l'arbre dresse

Dans les brumes d'hiver

Sa vie transie,

Laisse ton rêve

En son calme voyage

S'élever devant lui !

Il étend les bras -

Pense souvent à lui

Avec cette bonté

Pour que dans le malheur

Et dans les glaces

Il espère encore le printemps !

 

Cinq lieder sur des poèmes de Stefan George op.4

I. Ouverture

Monde des formes vivez longtemps !...

Ouvre-toi forêt de troncs pâles et blancs !

Là-haut dans le bleu seules les cimes portent

Les feuilles et les fruits: cornaline d'or.

 

Au milieu commencent près du monument de marbre

Les jeux fleuris de la source lente,

Elle s'écoule doucement depuis le creux

Comme grain après grain sur une coupe d'argent.

 

La fraîcheur frissonnante forme un anneau,

Le point du jour ennuage les cimes,

Un silence devin bannit ceux qui logent ici...

Frémis, aile du songe ! Résonne, harpe du songe !


 

III. Oui, gloire, merci à toi, qui portas cette grâce

Oui, gloire, merci à toi, qui portas cette grâce !

Tu assoupis ce coeur qui battait toujours fort

Dans l'attente de toi - ô chère - doucement

Dans ces semaines d'agonie baignées de lumière.

 

Tu vins et nous restâmes enlacés,

Pour toi j'apprendrai de doux mots

Et comme si tu ressemblais à l'Unique Lointaine

Je te louerai en tous mouvements du soleil.

 

Quatre lieder op.12

Le jour a passé, chant populaire

Le jour a passé,

Déjà la nuit est là,

Bonne nuit, ô Marie,

Reste à jamais auprès de moi.

 

Le jour a passé,

Et voici la nuit,

Aux trépassés aussi

Accorde le repos éternel.

 

La Flûte mystérieuse

Hans Bethge, d'après Li-Tai-Po

(extrait de La Flûte chinoise)

Un soir que les fleurs exhalaient leur parfum,

Et toutles les feuilles des arbres, le vent

M'apporta le son d'une flûte lointaine. Alors je taillai

Une branche de saule et

Mon chant prit son envol, en réponse, à travers

La nuit épanouie.

 

De ce soir-là, quand la terre est ensommeillée,

Les oiseaux entendent un dialogue dans leur langue.

 

Voyant le soleil, je croyais

August Strindberg, traduit en allemand par Emil Schering,

extrait de La Sonate des revenants

Voyant le soleil, je croyais

regarder Celui qui est caché ;

tout homme jouit de ses oeuvres,

bienheureux celui qui fait le bien.

L'acte de colère que tu commis,

ne l'expie pas dans la méchanceté ;

console celui que tu peinas,

avec bonté, et cela t'aidera.

Il s'est fourvoyé, celui qui ne fait que craindre :

il est bon de vivre sans culpabilité.

 

Qui se ressemble...

Une campanule adorable

était éclose de bon matin ;

vint une abeille, petite et bien gourmande:

Point de doute, elles sont faites l'une pour l'autre.


 

Trois chants extraits de Viae inviae de Hildegard Jones, op.23

I. Le coeur obscur, à l'affût en soi-même

Le coeur obscur, à l'affût en soi-même

ne perçoit pas le printemps à la seule brise, au seul parfum,

qui fleurissent à travers sa clarté ;

il l'éprouve dans le règne obscur des racines

qui va jusques aux morts :

Ce qui devient étend ses tendres racines,

vers ce qui attend dans l'obscur,

s'abreuve à la nuit de force et de silence,

avant de s'offrir au jour

avant d'exhaler, calice d'amour, son parfum vers le ciel

et avant que de lui vers lui un volettement doré ne porte la vie :

Je ne suis pas à moi.

Les sources de mon âme

bouillonnent vers les prairies de celui qui m'aime

et font s'épanouir ses fleurs et sont à lui.

Tu n'es pas à toi.

Les fleuves de ton âme,

ô homme, aimé de moi,

s'écoulent dans ce qui est mien

et l'empêchent de tarir.

Nous ne sommes pas à nous,

moi et toi et tous.

 

II. Des hauteurs tombe une fraîcheur, qui nous fait vivre

Des hauteurs tombe une fraîcheur, qui nous fait vivre :

le sang du coeur est l'humidité, à nous prêtée,

la larme est la froideur, à nous donnée :

elle coule, retournant miraculeusement vers le fleuve de la grâce.

Ah, je puis être là où le soleil est aussi,

lui qui m'aime sans raison et que j'aime sans fin !

Lorsque nous sommes, l'un pour l'autre, soir et adieu,

le ciel et l'âme restent longtemps encore rouges et ardents.

 

III. O mon Seigneur Jésus

O mon Seigneur Jésus,

Chaque matin tu entres dans la maison

où battent les coeurs

et poses sur toute peine

ta main pleine de grâce.

 

Avec tous les oiseaux, le printemps me dit

toutes les choses dont se réjouir.

Il y a tant, tout est là,

sauf des murs entre nous et Dieu.

Dans chaque brise, chaque rameau, il nous touche,

et il s'incline doucement

même dans les fleurs des prairies

autour de nos pas -

et nous ne pouvons que tomber à genoux.

 

Et demain, vous qui respirez, le soleil reviendra.

Et, ô dormeurs éternels,

le jour vous attend vous aussi.

 

Trois lieder sur des poèmes de Hildegard Jones op.25

I. Que je suis heureux !

Que je suis heureux !

Tout reverdit pour moi

avec tant de lumière !

le monde est pour moi

encore couvert de fleurs !

je suis encore une fois porté

à devenir

et suis sur terre.

 

II. L'oiseau pourpre du coeur traverse la nuit

L'oiseau pourpre du coeur traverse la nuit.

Les yeux, phalènes virevoltant dans la clarté,

le précèdent, lorsqu'ils vacillent dans le jour.

Et pourtant c'est lui qui les a conduits au but.

 

Ils font halte souvent, ceux qui bientôt s'élèveront

à nouveau dans les airs. Pourtant c'est lui qui reposera à la fin

sur la branche de la mort, las et les ailes lourdes,

alors ils devront se clore dans le tremblement du dernier regard.

 

III. O étoiles, abeilles argentées de la nuit

O étoiles, abeilles argentées de la nuit

autour de la fleur d'amour !

En vérité le miel de cette fleur,

scintillant, est accroché à vous.

Laissez-le s'égoutter dans le coeur, dans le rayon d'or,

emplissez-le à plein bord.

Ah, il déborde déjà,

heureux, et jusqu'à la fin

imprégné de douceur éternelle.

 

Cinq lieder sur des poèmes de Richard Dehmel

1. Paysage idéal

Tu avais au front une lueur,

et le soir était de haute clarté,

et ton regard toujours m'évitait,

allant vers la lumière -

et au loin mourait l'écho de mon cri.

 

3. Ascension

Descends-tu des lointains,

ô nuit couronnée d'argent ?

Le doux éclat de l'obscur

m'élèvera-t-il vers tes éternités ?

 

Comme si des yeux faisaient signe amoureusement :

que tout l'amour soit dévoilé !

comme si des bras tombaient de désir :

que tout désir soit assouvi ! -

 

un astre luit pour moi au lointain,

toutes les peurs s'effondrent,

félicité suprême des submersions,

il luit, il luit, et veut descendre.

 

Et des forces me poussent

à sa rencontre, et il tombe -

et le jaillissement, l'épanouissement

de son éclat rédempteur

 

me prend et m'emporte vers ces temps

où nul humain encore ne voyait

les étoiles glisser dans la nuit

ni les énigmes approcher les âmes.

 

4. Frayeur nocturne

Hésitant, des nuées vers la terre,

s'écoule le flot de lumière

de la pâle main de la lune,

étouffant toute mon ardeur.

 

Un scintillement égaré flotte,

par la forêt, jusqu'au fleuve,

et les eaux sombres frémissent

sous son baiser.

 

O coeur, entends-tu le murmure de la vague :

donne-moi un baiser !

Et avec une force hésitante,

jeune fille, je te donne un baiser.

 

5. Nuit de clarté

La blanche lune

donne un doux baiser aux rameaux.

Dans le feuillage

habite un chuchotement, comme si le bois

se penchait, se taisait pour l'heure du repos :

O bien aimée -

 

L'étang repose, et

le saule scintille.

Son ombre vacille

dans les eaux, et

le vent pleure dans les arbres :

nous rêvons - rêvons -

 

Les lointains brillent

de tranquillité.

Pâle, le bas-fond

élève son voile humide vers l'orée du ciel :

ô partir - ô rêve - -

 

Huit lieder de jeunesse

1. Profonde, du lointain (Richard Dehmel)

De la vague blanche du soir

surgit une étoile ;

profonde, du lointain,

la jeune lune avance.

 

Profonde, du lointain,

de la vague grise du matin,

la grande arche [blafarde]

s'élance vers l'étoile.


 

2. Regard vers les hauteurs (Richard Dehmel)

Un profond saule pleureur

pend au-dessus de notre amour.

Nuit et ombre autour de nous deux.

Nos fronts sont inclinés.

 

Silencieux, nous sommes assis dans l'obscurité.

Jadis bruissait ici un fleuve,

jadis nous vîmes scintiller les étoiles.

Tout est-il mort et lugubre ?

Ecoute - : une bouche lointaine - : de l'église - :

Choeurs de cloches... Nuit... Et amour...

 

3. Un salut fleuri (Johann Wolfgang von Goethe)

Ce bouquet que j'ai cueilli,

Qu'il te salue mille et mille fois !

Je me suis souvent penché,

ah, sans doute mille fois,

et l'ai pressé sur mon coeur

cent et cent mille fois !

 

5. Soir d'été (Wilhelm Weigand)

O soir d'été ! Lumière dorée, lumière sacrée !

La prairie s'embrase d'une douce ardeur.

Nul son qui rompe l'écoute de cette paix,

Tout aboutit à un seul sentiment.

 

Mon âme aussi désire la nuit

et l'obscurité qui monte, perlée de rosée,

elle écoute seulement dans la splendeur des roses

le silence lumineux des heures obscures du ciel.

 

6. Gaîté (Friedrich Nietzsche)

Mon coeur est aussi grand qu'un lac

Où rit ton visage éclatant de soleil

Dans la profonde, douce solitude

Où doucement une onde se brise sur une autre.

 

Est-ce la nuit, est-ce le jour ? Je ne sais.

Car pour moi rit, si aimant et si doux,

Ton visage éclatant de soleil,

Et je suis heureux comme un enfant.

 

7. La Mort (Matthias Claudius)

Ah, quelles ténèbres dans la chambre de la mort !

Quel son lugubre quand elle se meut

Et lève maintenant son lourd marteau

Et frappe l'heure.

 

8. Retour matinal au foyer (Detlev von Liliencron)

Au point du jour,

La cloche sonnait deux, trois,

Je franchis la porte

Vers le matin solennel.

 

Silencieux est le chemin,

Et les arbres se taisent,

Et le chant des oiseaux

Dort encore dans les branches.

 

J'entends derrière moi

Une fenêtre doucement se fermer.

Le flot de mon coeur

Va-t-il déborder ?

 

Mon désir ne voit-il

que le blond et le bleu ?

Le rouge du ciel et le vert,

Ces couleurs sont mortes, les autres aussi.

 

Le bleu des yeux de ma belle

Est un baiser au ciel moutonné,

Et ses blonds cheveux

Couvrent la terre entière.

 

Ce que la nuit m'a donné,

J'en frémirai encore longtemps ;

Mes bras s'ouvrent grandement

Sur la volupté et la vie.

 

Une grive s'éveille

Soudain dans les arbres,

Et les rêves d'amour

Cèdent doucement la place au jour.

 

 

Trois poèmes

2. Prière nocturne de la fiancée (Richard Dehmel)

O mon aimé - plongée dans les coussins

je t'implore, je prie le firmament !

O si je pouvais lui dire, s'il pouvait savoir

comme ma solitude me brûle !

 

O monde, quand pourrai-je l'enlacer !

O laisse-le m'approcher en songe,

laisse-moi m'élancer autour de lui comme la terre

et recevoir son baiser solaire

 

et boire les forces de ses flammes,

et lui rendre flammes pour flammes,

ô monde, et nous nous effondrerons ensemble

dans une ardeur paradisiaque !

 

O monde de lumière, monde de volupté !

O nuit de désir, monde de supplice !

O rêve de la terre : soleil, soleil !

O mon aimé - mon époux -

 

3. Pieusement (Gustav Falke)

La lune luit sur ma couche,

Je ne dors pas,

Mes mains jointes reposent

Dans sa lumière.

 

Mon âme est transuille, elle est revenue

de Dieu,

Et mon coeur n'a qu'une pensée :

Toi et mon bonheur.


 

Quatre lieder sur des poèmes de Stefan George (1908-1909) (extraits)


Jour de la venue I

A lui tu es enfant, à l'ami.

Je vois en toi le Dieu

Que j'ai reconnu en tremblant

Auquel s'adresse ma dévotion.

 

Tu vins au dernier jour

Alors que malade d'attendre

Alors que las de prier

Je me perdais dans la nuit :

 

Toi qui t'annonças à moi par le rayon

Qui traversa mon obscurité,

Par ce pas qui aussitôt

Fit éclore la semence.

 

Deuil I

Attends, que je t'annonce ceci encore :

Que je t'implore - te désire.

Le jour sans toi est le péché,

Mourir pour toi est l'honneur.

 

Si les ténébreux ont élu quelqu'un :

Alors JE foule la triste marche.

La nuit me jette sur la pelouse.

Donne une réponse à l'appel implorant ...

 

> Laisse-moi disparaître dans les cieux !

Toi, vigoureux, relève-toi du fond !

Atteste et loue mon miracle

Et persiste là-bas dans la vie ! <

 

La terre meuble semée est malade et languide

La terre meuble semée est malade et languide

D'avoir après les dures gelées senti déjà les tièdes

Lumières du printemps et les dents des charrues

Et haleté sous les tempêtes de l'an passé :

Que soient désormais pour moi baume et philtre apaisant

Le frisson fleuri de ta poitrine nue

Le parfum de tes mèches embrouillées

Ton souffle tes pleurs ta bouche humide.

 

Trois lieder sur des poèmes de Ferdinand Avenarius

2. Oraison

Supporte ! Laisse la douleur, tranchante,

Tailler dans ton cerveau, fouiller durement dans ton coeur -

Elle est le soc après lequel passe le semeur,

Pour que, des blessures de la terre, pousse le grain.

 

Le grain qui apaise la pauvre âme affamée -

O Père, bénis mon champ par la récolte :

Que ton soc laboure sans merci le sentier,

Mais jette aussi de la semence dans ses sillons !

 

3. Amis

Douleurs et joies

Mûrissent Chaque heure

Pour des récoltes d'or,

Et entre les épis sourit

Dans les fleurs, la Beauté.

 

Mais pour recueillir le coeur

Et que son battement s'amplifie et s'anime,

O amis, unissez vos forces aux nôtres :

Dans le terrestre

cueillir le divin

Pour que nous récoltions

La vie !